La présence

Un bruit sourd avait fait soudainement irruption dans l’espace sonore, qui jusque-là n’avait pas affecté mon subconscient. Je m’étais assoupi, pour une sieste que je savais d’avance brève et intense. 25 minutes d’un sommeil trop profond et trop lourd pour être réparateur. Un peu comme si j’avais débranché l’alimentation de mon cerveau au lieu de recharger ses batteries. Un redémarrage nécessaire mais qui demandait à la machine du temps avant d’être à nouveau opérationnelle. De ma courte léthargie, je gardais quelques séquelles, physiques d’abord, puis psychiques. Des plissures de peau, des marques rouges et les cheveux en bataille qui avec un peu de poésie auraient très bien pu représenter mes connexions neuronales qui semblaient s’effectuer dans le désordre, tant je peinais à reprendre contrôle de mes sens et de mes pensées. 

Quelqu’un d’autre s’était introduit dans la pièce. Je reconnus d’abord son parfum, subtil et profond, qui se remarquait à peine. L’odeur, lorsque j’y prêtais une attention suffisante, prenait le dessus sur toute autre particule olfactive. Sa présence était discrète, elle se tenait à bonne distance et ne faisait aucun bruit. Pourtant, elle était bien là, et dès les premières secondes ou je l’avais remarqué, je ne pus l’ignorer. On se voyait elle et moi depuis toujours mais jamais notre relation n’avait été exposée au grand jour. Par peur sans doute, de dévoiler l’étrange intimité que nous partagions, cette flamme dévorante qui nous consumait elle et moi. Je ne vivais pas encore avec elle, bien qu’elle me rendait souvent visite à l’improviste. C’était peut-être ses absences que je remarquais le plus. Disons que j’en voyais d’autres et elle aussi, disons qu’une fois qu’elle n’était plus la, je pouvais réellement rassembler mes esprits vers de choses plus importantes. Pourquoi continuons-nous à nous voir ? En réalité elle avait ce charme froid, cette aura, et ce regard pénétrant qui pouvaient me percer à jours à tout moment. C’était ce que j’aimais le plus chez elle, mais aussi ce que je ne pouvais supporter. Elle devinait mes plus grandes joies et mes plus lourds secrets, un sourire faussement doux, figé sur ses lèvres. C’était envoutant, presque mystique, de partager ça avec quelqu’un, d’être lu jusqu’au dernier mot, jusqu’à la plus subtile tache d’encre, sans jamais avoir besoin d’ouvrir la page de garde. Elle me comprenait. De mon côté, je ne pouvais qu’effleurer sa volonté, qu’esquisser ce qui semblait être ses désirs sans jamais pouvoir trouver le sens de ses motivations. 

Elle ne prévenait jamais, se débrouillait toujours pour me fréquenter en s’assurant que je sois seul. Et lorsque je ne l’étais pas, il y avait la plupart du temps quelque chose, un détail, qui me rappelait qu’elle n’était jamais bien loin. Dès lors que le souvenir de sa silhouette me revenait en mémoire, c’était comme si elle ne m’avait jamais quitté. Elle était là en cette après-midi, sans raison apparente et portait sur moi un regard tentateur, qu’aucun mot ne venait accompagner. Elle savait quel effet cela me faisait. Nous restions là en silence à nous jauger mutuellement, sans avoir vraiment besoin de se parler. Mais lorsqu’elle ouvrait la bouche, elle ne se taisait plus. Chaque mot se déversait dans mon esprit, comme le fleuve en cru emportant toute résistance sur son chemin. Il fallait faire vite. Je n’avais pas le temps ni l’envie de subir ça. J’étais au bord de l’épuisement, toutes mes ressources avaient disparu avec mon sommeil et j’avais l’intime conviction que si elle essayait encore, j’allais m’abandonner à elle. Construire une digue, détourner son flot de parole était ma seule chance si je voulais profiter du relatif calme qui s’était imposé à moi en ce jour. « Pourquoi maintenant ? » voulais-je lui hurler, en vain. Lui parler ne m’aiderait pas, au contraire, il fallait trouver un moyen de la faire décamper. Mais comment ? Apres tout la violence ne résoudrait rien, cela n’en valait pas la peine et je ne voulais pas la provoquer. Je ne pouvais m’empêcher de voir en elle une partie de moi. Il fallait gagner du temps, essayer de l’ignorer. Je me mis à fixer mon portable, à écouter la musique qu’elle haïssait. Je commençais à la connaitre après tout et peut être qu’un jour j’arriverais à prendre le dessus sur notre relation. Je changeais subitement de pièce, après avoir réussi à esquiver la confrontation. Elle n’allait pas lâcher l’affaire de sitôt, elle qui aimait tant me rendre fou. Depuis plusieurs longues minutes je faisais fit de sa présence, essayant d’effacer la sensation de son sourire, si beau et glaçant à la fois. Elle était la toute proche et je pouvais imaginer son souffle sur mon cou, ses mains m’enlaçant avec assurance. Je pensais encore à l’intensité de nos nuits, de nos journées. Si je m’offrais à elle, elle ne partirait plus de mon esprit, jusqu’à prendre le dessus sur la complexité de ma pensée, pour ne laisser qu’elle. C’était beau en un sens, et je me disais que qu’après tout ce n’était pas la première ni la dernière fois que nous nous voyions. Elle pouvait le sentir. Elle se rapprochait. Je le devinais au bruit de ses pas. Son odeur était devenue si forte. Si présente qu’elle me donnait la nausée. Elle allait prononcer quelques mots. Je tremblais désormais devant son aura, si intense, si destructrice. Je ne pouvais plus faire comme si elle n’était pas là. C’était déjà trop tard. Elle avait encore trouvé les clefs de mon esprit, puisait dans mes songes et mes peurs. Elle me voulait pour elle toute seule. Agir, vite. Il fallait trouver une échappatoire. C’était trop fort. Elle allait me détruire. Agir, mais comment ? Je ne pouvais pas juste disparaitre. Courir. Mais si je lui parlais s’en était finit de toute résistance. Je me débattais de l’intérieur retournant dans tous les sens chaque possible dénouement. Ma respiration et mon rythme cardiaque s’emballaient. C’était peine perdu. Je devais me retourner, la regarder dans les yeux. L’affronter. « Ding Dong ». La sonnette. Un ami était à ma porte, le sourire aux lèvres. Je vins ouvrir. Quand je me retournai enfin, elle était partie. L’Angoisse avait disparu.

Auteur : lecheveusurlalangue

Journal de SciencesPo Grenoble (Isère, 38) et de ses étudiant.e.s

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