Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, notre pays est placé sous le régime de l’état d’urgence. Le gouvernement, hésitant en apparence sur un dilemme cornélien entre sécurité et culture, a en réalité déjà fait son choix…
L’état d’urgence décrété lors du discours du président devant le Congrès réuni à Versailles, en novembre 2015, est prolongé « jusqu’aux prochaines élections » au motif d’une lutte contre la barbarie. François Hollande souhaite intégrer l’état d’urgence comme une notion juridique dans la Constitution. Rappelons que le régime de l’état d’urgence existe depuis la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, qui a été votée lors de sinistres balbutiements de la Guerre d’Algérie. En outre, l’état d’urgence, qui à son origine est établi pendant 12 jours, ne peut être prolongé que par le vote d’une loi « déclarée par décret en Conseil des ministres » selon l’Article 12 de la loi n° 55-385.
Dès lors, conformément à l’Article 1, « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain(…), en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » Par conséquent le régime juridique français permet, assez facilement, de prendre des mesures faisant valoir le secret sur le droit à l’information ainsi que l’intervention des pouvoirs publics dans les sphères privées les plus intimes. Ce régime semble nier, par les mesures relatives à cette loi, les garanties juridiques qu’offre un État démocratique et moderne, et emprunte diablement aux mécanismes qu’il est supposé combattre. C’est cette fois l’Article 8 qui le montre : « le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature. Ils peuvent être également interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre. ». Ainsi, les contre-pouvoirs, nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie pouvant être définis par les médias et le droit de grève se retrouvent réduits et censurés. Dès lors la séparation des pouvoirs, gage de véritable démocratie et les gardes-fous que nomme Tocqueville, luttant contre les dérives « tyranniques et dictatoriales » de ce régime paraissent quelque peu inexistants au sein de l’état d’urgence. Il semble donc que le Président et le gouvernement français ont donc choisi pour le peuple, de privilégier la sécurité à la liberté au détriment de la Culture.
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Photo : DR.
La Culture pourrait se définir ici par ce tissu associatif et d’organisations diverses, de compagnies de spectacles, de théâtre, de comédies musicales, d’humour, mais aussi, le cinéma, des peintres, des sculpteurs, des écrivains, des poètes qui embrassent dans leur totalité l’identité d’une nation à l’échelle internationale. Également, ce large champ d’action qui résulte de la culture exerce une influence à cette même échelle. Au temps de la Guerre Froide et encore aujourd’hui, on caractérise cette influence comme une puissance : le soft power. Bien différent du hard power, cela ne consistait pas à un esprit de conquête matérielle, mais spirituelle. La France est bien connue pour son « exception culturelle », se définissant pour l’état comme une valorisation de la culture et un développement des politiques publiques de soutien à la création et à la protection du patrimoine. L’idéal d’un droit à la culture pour tous est donc issu du Conseil national de la Résistance et affirmé dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En conséquence, la culture rend possibles l’émancipation individuelle et la citoyenneté. La culture pour la société et l’individu est facteur de cohésion sociale, de transmission, de partage et d’innovation. Elle contribue au projet de la République en rendant les citoyens plus libres, plus égaux et plus fraternels.
Malgré de beaux mots qui savent toucher les individus en tant que personnes et citoyens, la République française semble avoir essayé de faire un compromis. D’une part, son choix en faveur de plus de sécurité, devenu maître-mot des primaires présidentielles, et de l’autre, sa volonté d’émancipation et d’innovation culturelles pour la société. Cependant cela s’avère ne pas être une réussite. Les mesures de sécurité interdisent et réduisent la possibilité de réaliser des spectacles vivants. La peur des maires de voir un rassemblement de personnes empêche une réflexion sur l’apport de la culture dans la société. Ainsi, cette peur au ventre annihile toute volonté de développement culturel. Dans un cadre où les normes restreignent et étouffent, l’artiste n’a plus la liberté d’entreprendre, de créer, se sentant enchaîné à la sécurité bureaucratique et physique de la peur qui est incarnée autour de lui par un organisateur, un élu ou un garde du corps. Ce nouveau dogmatisme, quelque peu archaïque, restreint l’activité culturelle et présente l’artiste prisonnier de ce cercle infernal et « indéfini » qu’engendre le mépris d’une puissance étatique aveugle à tout procédé innovant. Le spectacle vivant, par exemple, pourrait s’adapter aux nouvelles barrières, aux nouvelles forces de police, et même en jouer. Néanmoins l’interdiction effleurant la non-communication injustifiée détruit toutes formes de possibilité. Même si la volonté estimée du gouvernement est de préserver la Culture dans notre pays, elle se retrouve soumise par l’état d’urgence.
Cependant, il existe des solutions puisant leurs sources sur la scène internationale. Le cas de la Norvège est édifiant. Le discours d’un peu moins de trois minutes, prononcé par le chef du gouvernement norvégien de l’époque, Jens Stoltenberg, quelques heures après les attentats de l’île d’Utoya et Oslo le 22 juillet 2011 est un modèle. Anders Behring Breivik venait de tuer plus de 70 personnes avec une bombe près du siège du gouvernement puis avait ouvert le feu sur l’île d’Utoya. Voici les mots du président : « J’ai un message pour celui qui nous a attaqués et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. » Espérons que ces mots du Premier ministre norvégien entreront en résonance avec le besoin de Culture, essentiel depuis Charlie Hebdo et le Bataclan.
1. Dès lors la séparation des pouvoirs, gage de véritable démocratie et les gardes-fous que nomme Tocqueville, luttant contre les dérives « tyranniques et dictatoriales » de ce régime paraissent quelque peu inexistants au sein de l’état d’urgence
la séparation des pouvoirs : judiciaire, exécutif, législatif. n’est pas remise en cause par l’état d’urgence.
l’etat d’urgence investit les autorités administratifs de pouvoirs de police ADMINISTRATIVE. ex : perquisitions ADMINISTRATIVES menées par les OPJ sous autorité du préfet.interdiction de sortie/entrée du territoire décidée par le ministre de l’intérieur. contrôle de légalité non plus du juge judiciaire mais du juge administratif.
bref, tous les actes de police ne sont plus ordonnés par l’autorité judiciaire (procureur, bien que son appartenance à l’autorité judiciaire ait été remise en cause, juge d’instruction…) et soumis au controle de ces magistrats (+ JLD) mais par l’autorité administrative, sous controle du juge administratif.
c’est pas la séparation des pouvoirs qui est remise en cause, c’est le monopole de l’ART 66 de la constitution au seul juge judiciaire.
le juge administratif devient compétent pour controler le respect des libertés.
de nombreux actes ont été cesurés par le CC, donc « l’intervention des pouvoirs publics dans les sphères privées les plus intimes » c’est faux. ce qui choque à la limite c’est que ce soit fait par les autorités administratives et non plus judiciaires.
2. l’Etat d’urgence, comme tu le dis, a vocation à être temporaire. or vu les menaces qui pèsent, la nécessité de procédures dérogatoires, les autorités l’ont prolongées.
c’est pas antidémocratique, c’est recourir à un mécanisme prévu par la loi.
par contre la seule solution de l’adapter aux enjeux actuels, permanents, c’est de l’inscrire dans la constitution. on pourrait ôter l’état de siège qui sert à rien et y inscrire l’ETAT d’URGENCE, l’adaptant aux enjeux, l’associant à l’exigence du respect des droits et libertés (au moins pour fermer le clapet à ceux qui pensent que leur liberté est gravement mise en danger).
3. je trouve intéressante la partie sur sécurité et culture, mais ton propos manque cruellement d’exemples. là je peux tout aussi bien affirmer l’inverse, que la culture ne s’est jamais trouvée aussi florissante que pendant l’Etat d’urgence. donc je me permets de te taxer de manipulateur tant que t’auras pas trouvé les exemples justifiant ton propos.