Le chemin des compréhensions mène à la radicalité

par Mathis Tresanini

Avant d’être un terme assimilé à un soi-disant « extrémisme » ou alors l’insulte d’« excessif » de ton oncle et de « complotiste » de ta grand-mère,  le sens de « radical » porte avant tout sur une compréhension profonde des problèmes dont les causes sont à chercher à la racine. Au lieu d’être un discours absolu et sans nuances, la critique profonde mise en lumière par la radicalité est nécessaire à une remise en cause des branches de notre système défaillant.

La radicalité est au front lorsque l’étendard du statu quo est fièrement levé, ce qui est le cas depuis des dizaines d’années. L’idée d’arrondir les angles, de plaire à un électorat encore plus large mais que tout oppose, d’alterner entre la droite libérale et la gauche libérale dont les réformes se confondent, de se suffire à des alliances fragiles et de circonstances. Ce manège incapable de faire face aux urgences peut-il encore être appelé « politique » ? Face au consensus et à l’incapacité de trouver des alternatives politiques viables, il est important d’emprunter le chemin des compréhensions pour ainsi avoir une vision radicale nourrie par une nouvelle culture de résistance.

Le chemin des compréhensions 

Le but est de ne pas réprimer les symptômes à la surface mais de résoudre les problèmes profondément ancrés. Par exemple, au lieu de tirer à balles humiliantes sur la violence dans les quartiers populaires, comprenons plutôt quelles causes en sont à l’origine. Cela peut être notamment économique (critique liée à la paupérisation et son influence sur les comportements) ou culturel, (critique à tendance zemmouriste avec certaines cultures incompatibles avec les civilisations occidentales). Ces deux critiques sont radicales, pourtant la première prône la compréhension et la seconde la haine de l’autre.

L’idée de compréhension raisonne d’autant plus avec la célèbre citation du philosophe Baruch Spinoza « Ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre ». Par ailleurs, il est important de souligner que comprendre n’est pas synonyme de justifier, qui amènerait à accepter tout et n’importe quoi par peur de vouloir changer les choses. En revanche si l’on adhère au principe du déterminisme, les actions ne révèlent pas d’un illusoire libre-arbitre mais davantage d’un contexte d’influence dans lequel baigne l’individu. Par conséquent, l’acte de compréhension permet de ne pas se focaliser sur certains comportements individuels plus ou moins représentatifs mais davantage sur les structures qui font des individus ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Prenons donc ensemble le chemin des compréhensions.

« Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre. »

Baruch Spinoza

Sur ce chemin, l’un des obstacles est la mélodie néolibérale en vogue qui consiste à faire culpabiliser pour mieux dominer, à rendre le problème individuel alors qu’il est structurel. En soit, de ne pas chercher à comprendre. Une douche moins longue ? Le tri alimentaire ?

« 92 % de l’eau utilisée sur la planète l’est par l’agriculture (70%) et l’industrie (22%) […] la consommation individuelle d’énergie représente 25% de la consommation globale […] Les déchets des ménages représentent 3 % aux Etats-Unis » C. Dion – Petit manuel de résistance contemporaine

Breathe par Fukari (Deviantart)

Premièrement, cette mélodie culpabilisatrice s’inscrit dans une logique de profit par la vente de produits de greenwashing pour rendre seulement les individus « éco-responsables ». Deuxièmement, la focalisation sur la responsabilité individuelle fragilise grandement une critique à plus grande échelle visant les grandes entreprises et les Etats. Par exemple, la communication du gouvernement durant la crise sanitaire se concentre sur la responsabilité individuelle et les gestes barrières, tandis que la suppression des lits d’hôpitaux depuis des années reste sous silence [1].

Una tierra sin árboles, es una tierra sin vida, CDMB (Twitter)

Par cette nécessité de comprendre, il est donc nécessaire d’analyser les structures tout en évitant le jugement simpliste et condescendant d’un individu. Après tout, comment comprendre les causes profondes si l’on ne cherche pas à la racine des problèmes ? D’où l’idée que la compréhension nous mène… à la radicalité.

Gaspard d’Allens (Reporterre)

Quelques visages de la radicalité

Une lutte radicale, collective et ciblée 

Premièrement, la radicalité s’exerce dans la cible choisie. En effet, il est davantage utile de lutter contre un phénomène englobant qui, s’il est destitué, va libérer de multiples phénomènes inclus en son sein. Par ce constat, Emmanuel Todd prend par exemple comme cible « l’aristocratie stato-financière » puisqu’il repère que les inégalités socio-économiques ne s’opèrent que très peu entre les individus de la « masse dominante atomisée » (infirmières, employés qualifiés, techniciens…) mais davantage entre eux et cette aristocratie qui ne représente qu’1%. Est-il donc utile de râler contre certains avantages des travailleurs à la SNCF tandis qu’une aristocratie s’enrichit toujours plus ?

← Les nouvelles classes sociales par Emmanuel Todd, France 5

Quant aux luttes intermédiaires et désunies, il est possible de faire la même critique puisque même si elles sont tout aussi importantes, elles effacent derrière elles l’ennemie commun : le capital. En effet, voyons le capital comme une pieuvre et les luttes intermédiaires des tentacules. Par exemple, le combat écologique est indispensable mais il est difficilement envisageable dans un capitalisme qui institue la croissance économique infinie et prend la consommation comme moteur : deux idées aux antipodes de l’écologie écocentrée. On peut donc débattre pour savoir si l’écologie de marché d’EELV est réellement une initiative écologiste étant donné qu’elle adhère au marché libéral qui est en train de détruire la planète. Ainsi, même si un tentacule est coupé, la pieuvre peut encore déployer toutes ses inégalités. N’est-il pas plus rapide de viser le cœur de la bête ?

→ pancarte de manifestation

Une radicalité spirituelle : éloge d’une nouvelle philosophie de vie comme échappatoire à l’embrigadement idéologique.

Le capitalisme nous a harponné par le confort. C’est un fait. Que ce soit avec la révolution industrielle ou encore la montée des technologies facilitant le quotidien. Depuis, celui-ci sauvegarde sa place en entretenant nos appétits voraces par la création de désirs artificiels (omniprésence de la publicité) pour des besoins artificiels (déverrouillage du téléphone par reconnaissance faciale par exemple). Au lieu de se moquer de ceux qui tombent sous le charme de ces incitations perverses, il est plutôt intéressant de comprendre que, de manière plus globale, nous sommes tous confinés au sein même de ce capitalisme. En effet, l’écosystème capitaliste introduit des normes comme le confort mais entretient également les esprits de plusieurs manières. Dans l’embrigadement général, on peut citer notamment sa logique managériale qui s’immisce par le langage. On a tous entendu parler de l’« humanité efficace » de Macron [2] ou du « capital jeune » présenté fièrement par le porte-parole LREM Stanislas Guérini [3]. D’ailleurs, on remarque que la dureté et la violence du capitalisme s’attaque maintenant aux mots eux-mêmes, comme l’avait prophétisé George Orwell dans 1984.

« Le langage politique est conçu pour donner aux mensonges des airs de vérité, rendre le meurtre respectable et faire passer pour solide ce qui n’est que du vent. »

George orwell

Être viré de son travail devient être « décruté », les « exploités » deviennent les « défavorisés », les syndicats se battent maintenant contre des « plans de sauvegarde de l’emploi » qui sont des licenciements collectifs, une partie de la population se lève contre la réforme « universelle » des retraites. Ce langage positif met entre autres sous le tapis le fait que le chômage fait 15000 morts par an en France [4], efficace n’est-ce pas ? Entre l’anesthésie par le confort et les mots et une philosophie producto-consumériste, il est clair que notre puissance d’action sur le présent et l’émergence possible d’un horizon réellement progressiste sont entravées. Il semble donc nécessaire de construire collectivement, en ce temps de crise, une philosophie mêlant de nouvelles manières de penser et d’habiter le monde.

peinture de Suzy Duvillard

Cette philosophie ne peut être unique mais plutôt nourrie des singularités de chaque humain. Elle doit s’infiltrer dans les failles et piliers du capitalisme, ses fondamentaux idéologiques afin de le faire s’effondrer sur lui-même. Le capitalisme voit la « nature » comme une ressource et l’homme au-dessus des animaux non humains ? Puisons dans l’antispécisme et le respect des êtres sentients. Le capitalisme accapare les normes genrées (virilité masculine, hypersexualisation féminine) pour développer l’industrie jouant sur des clichés de genre [5] ? Démolissons la masculinité et féminité toxique. Il est donc question de faire de la philosophie collective émergeante un prisme de lignes de fuite. Le capitalisme prône la concurrence à longueur de journée, très bien : concurrençons-le avec d’autres modèles politiques, mais également avec une des armes préférées des luttes : la culture.

De la radicalité naît la culture de résistance

Cette culture peut se voir comme un prisme qui transforme un unique rayon blanc en une multitudes de rayons colorés. D’une volonté globale de résister et de dépasser ce qui est représenté comme indépassable, plusieurs méthodes rayonnent pour faire passer le message. Que ce soit dans l’art, de la musique engagée au graffiti, dans la construction alternative, de l’éco construction jusqu’à la permaculture en passant par les jardins-forêts, dans l’écriture alternative, du bio-punk aux articles anarchistes du blog Floraisons, de la confrontation du système politique et policier, des manifestations pacifiques jusqu’au Black Block.

Documentaire En quête d’autonomie par Demos Kratos

« Si résister à la culture dominante est la dernière chance de nous sauver, alors nous avons besoin d’une culture de résistance. »

Floraisons blog

Mathis TRESANINI

[1] :https://www.anti-k.org/2020/10/29/le-gouvernement-continue-de-supprimer-des-lits-dhospitalisation-la-carte-des-hopitaux-concernes/

[2] :https://blogs.mediapart.fr/marugil/blog/070220/humanite-et-en-meme-temps-efficacite

[3] :https://www.mieuxvivre-votreargent.fr/vie-pratique/2021/01/25/capital-jeune-guerini-propose-un-pret-de-10-000-euros-a-taux-zero-pour-les-jeunes/

[4] :https://blogs.mediapart.fr/tristan-barra/blog/070917/derriere-les-chiffres-du-chomage-la-mort-de-milliers-de-personnes

[5] :https://www.youtube.com/watch?v=_sUvKvoK9I8

Auteur : lecheveusurlalangue

Journal de SciencesPo Grenoble (Isère, 38) et de ses étudiant.e.s

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