par Alexis Cudey

Depuis mars 2020, le monde est frappé par la vague coronavirus. 2,5 millions personnes ont péri de cette maladie, les États-Unis en tête. L’Asie, pourtant, semble mieux s’ en sortir que le Vieux continent ou encore le pays de l’ Oncle Sam. Pourtant, le Covid-19 est issu de cette aire géographique, la plus peuplée du monde, et l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle connaisse un bilan parmi les plus lourds. Or, il n’en est rien, et la gestion de la pandémie par les pays asiatiques est même souvent érigée en modèle à suivre. Certains parlent d’une expérience passée plus favorable, ces pays ayant été historiquement plus exposés à ce genre de virus, tandis que d’autres érigent l’ « immunité naturelle » asiatique. Mais comment peut-on réellement expliquer cette gestion de la Covid-19 du côté de nos amis asiatiques ? À quels facteurs peut-on imputer cette meilleure gestion ?
Comme bon nombre des économies mondiales, les économies asiatiques ont pâti de la crise du Covid-19. Mais depuis quelques mois, la reprise semble amorcée, et des pays comme Taiwan, la Chine ou la Corée du Sud annoncent des taux de croissance insolents. Ainsi, l’on estimait que la Chine était entrée dans l’après Covid-19 à partir de décembre dernier, là où encore beaucoup d’autres pays restaient frappés par une crise économique sans précédent. Cette année, la Chine est la plus grande économie à ne pas connaître de récession. Il en va de même pour la Corée, qui a vu ses perspectives de croissance à la hausse par le Fond Monétaire International (FMI), autour de 3,1%, faisant d’elle le leader de la croissance de l’ OCDE. Mais en dehors de ces performances économiques, les pays asiatiques s’illustrent dans la gestion de la pandémie, qui les a fait sortir pour certains de la crise, et qui leur permet de goûter de nouveau au monde d’avant. Ainsi, l’Asie de l’Est, qui regroupe quinze pays, ne totalise que 2,4 % des décès alors qu’elle représente 30% de la population mondiale.
Une estimation faussée ?
Face à ces chiffres stimulants, un réflexe courant a été de s’ interroger sur la véracité et la fiabilité des bilans communiqués. Ainsi, lorsque l’on parle d’estimation faussée, on pense assez rapidement au cas de la Chine, qui se targue d’un bilan remarquable, et figure parmi les premiers pays à pouvoir sortir de cette crise. Depuis mars 2020, 4636 chinois seraient morts de la Covid-19, bilan qui étonne les autres pays en train de batailler avec leur réanimation en tension.
Mais début décembre 2020, le média CNN a publié un rapport de 117 pages de sources internes, les « Wuhan files », affirmant que la Chine avait volontairement minoré l’impact de la Covid-19. La Chine aurait également mis en place un système de comptage sous-évaluant les chiffres de la pandémie. CNN rapporte ainsi qu’au 10 février la province du Hubei rapportait 2478 cas, contre 5918 en réalité. La rapport met également en lumière le sous financement du système de santé régional du Hubei, ainsi que le manque de préparation à cette épidémie émergente. Li Wenliang, médecin à l’hôpital de Wuhan, s’est vu reprocher d’alerter les autorités sur les risques réels de cette épidémie dont on ne connaissait alors que peu de choses. Il s’inquiétait de l’organisation défaillante du système de santé chinois face à une telle épidémie. Il en est mort le 7 février 2020.
Un autre géant asiatique bénéficie également d’un bilan plutôt correct; il s’ agit de l’Inde. Fort de 1,3 milliards d’habitants, l’Inde n’est pas réputée pour la fiabilité de ses systèmes de santé mais établit son bilan à 155.000 morts de la Covid-19. Pourtant, ce bilan semble ne pas être imputable à une quelconque gestion efficace de la part du gouvernement indien, mais plus à un manque de moyen, et d’une incapacité chronique à dresser un bilan exhaustif des morts de la Covid-19. Ainsi, l’ Inde connaît en certains points un système d’ infrastructures médicales défaillantes, notamment l’est du pays, dans l’ État du Jharkhand, qui se targue d’un bilan de 900 mort de la Covid-19 depuis mars, mais dont la fiabilité reste à prouver. Des personnes succombent sans être hospitalisées par exemple, et cet état de fait justifierait le bilan sans doute sous-estimé de l’ Inde.
De plus, il apparaît difficile de comptabiliser tous les morts du Covid-19 depuis mars, notamment dans les bidonvilles, qui en raison d’une insalubrité évidente, constituent des foyers de contamination irrésistibles. Le bidonville de Dharavi à Mumbai est peuplé par près d’un million d’âmes indiennes et présente des conditions de vie pétulantes: manque d’eau et de ventilation, extrême densité des populations. Il paraît donc impossible d’émettre un bilan crédible des morts de la Covid-19 dans des bidonvilles.
Une expérience différente des pandémies
Dans cette lutte contre la pandémie, l’expérience joue un rôle décisif, puisque les populations asiatiques sont historiquement plus exposées. On peut, par exemple, citer le SRAS en 2003, originaire de Guangdong en Chine ou encore la grippe de Hong-Kong en 1968, causée par le virus H3N2. S’ajoute plus récemment, le MERS-CoV, ou syndrome respiratoire du Moyen-Orient, qui émerge en 2012 et arrive en Corée du Sud en 2015. Ces épidémies ont préparé les pays asiatiques qui ont su organiser l’éventualité d’une nouvelle donne. Le MERS-Cov a fait moins de 100 morts en Asie, mais avait affecté l’économie. Des leçons ont été tirées de ces vagues épidémiques, et les populations se sont préparées à l’ éventualité d’une nouvelle épidémie.
Mais il faut également signaler les mesures promptes et la réactivité politique de beaucoup de pays asiatiques. En effet, la réactivité paie, et bon nombre de pays asiatiques ont mis en place des mesures, dont la force et la radicalité, ne seraient sans doute pas acceptées en Europe ou en France. Confinements plus durs, mesures mieux respectées, traçage constant, gestes barrières raffermis sont autant de mesures à mettre en place pour une gestion optimisée de la Covid-19, et qui le furent. À ce petit jeu, Taiwan a développé une stratégie idoine, en l’occurence une quatorzaine ciblée permettant de tracer au mieux les cas détectés. Taiwan est ainsi à juste titre érigé en modèle de gestion de la Covid-19, n’éreintant que peu les libertés civiles et sa situation économique.
De son côté, la cité-État de Singapour se targue d’un bilan exceptionnel face à la Covid-19: pas de confinement, ni de port du masque ni d’écoles fermées. Singapour n’a finalement connu qu’une vague de contamination de la Covid-19. Par ailleurs, un comité de gouvernement spécifiquement dédié à la gestion de la Covid-19 le 22 janvier a été formé, soit un jour avant le premier cas officiel. Singapour s’est également fendu d’une politique de traçage dès mars ( un peu comme Taiwan), saluée à cet égard par l’ Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Le bon vouloir des citoyens
Aux mesures rapides et franches, s’ajoutent le bon vouloir des citoyens et leur stricte révérence des règles établies. À cet égard, le cas de la Corée du Sud est éclairant. Fort d’un bilan de 1000 morts pour 51 millions d’habitants, l’on peut aisément dire que la Corée s’en sort relativement bien. Toutefois, la Corée exerce un fort contrôle social, notamment par le biais d’une certaine culture de la délation, qui existe déjà pour environ 300 infractions différentes, et qui permet à tout citoyen de signaler les infractions constatées. Dans cette lutte contre la Covid-19, le gouvernement coréen a mis en place un système de bons d’achats pour récompenser les citoyens, photos à l’appui, qui dénoncent les contrevenants aux recommandations du gouvernement. Ainsi, ce sont près de 100.000 wons promis aux personnes les plus performantes dans la dénonciation (Courrier international).
Le Japon connaît une situation similaire. Le tracking y est moins courant qu’en Corée, mais les citoyens restent très soucieux des règles. Peu de contraintes ont été mises en place, mais les citoyens sont traversés par un fort sens civique et un devoir social qui les incitent à ne pas outrepasser les règles établies. Par ailleurs, le Japon est conjoncturellement lié à un événement ; les Jeux olympiques de 2021, et le pays sait pertinemment que l’ organisation d’un tel événement, dont il ne peut se passer, est conditionnée par un respect scrupuleux des règles et une maîtrise totale et absolue de la situation. Enfin, les Japonais connaissent en général moins de problèmes de comorbidité, parmi lesquels le diabète ou l’obésité.
Une immunité naturelle ?
L’ Asie a connu une troisième vague de faible intensité, sans commune mesure avec ce que l’Europe de l’Ouest a pu expérimenté. Par ailleurs, si les cas restent mesurés, la mortalité est elle aussi très faible. L’Asie de l’Est connaît un bilan de 40.000 morts. Représentant 30% de la population mondiale, elle regroupe seulement 2,3% de la totalité mondiale des morts depuis janvier. Le pays le plus mal loti se trouve être les Philippines, avec un bilan dérisoire de 80 morts par million d’habitants, tandis que celui de l’Allemagne, alors érigée en modèle européen, s’élève à 800 morts par million d’habitants. S’ agissant de l’ Asie du Sud-Est, le Cambodge et Laos revendiquent officiellement 0 mort. Le Vietnam, pourtant limitrophe de la Chine, a fermé ses frontières très tardivement, mais revendique quelques dizaines de morts.
Au Wall Street Journal, l’ ancien conseiller médical au Ministère de la Santé japonais et biologiste à l’ université de Tokyo, Yasuhiro Suzuki explique: « Il existe une théorie, et je pense qu’elle est assez crédible, selon laquelle en Asie de l’Est, un rhume similaire au coronavirus s’est largement propagé et qu’un grand nombre de personnes l’ont attrapé ». Cette exposition prématurée à ces formes annexes de la Covid-9 a permis de ne pas développer des formes graves de la Covid-19. Cette observation corrobore une étude de l’université de Boston selon laquelle les personnes qui ont contracté un coronavirus du rhume ont tendanciellement 70 % de risques en moins de décéder de la Covid-19. Les habitants d’Asie de l’ Est, habitués à être exposés à des virus ressemblant à la nouvelle Covid-19, disposent ainsi d’un système immunitaire plus réactif.
L’ « immunité asiatique » est ainsi érigée en modèle d’ explication de l’exceptionnalisme qui touche la région. Comme précisé précédemment, les deux épidémies de Sras (celle de 2003) et l’actuelle ont émergé en Chine. De plus, d’ autres cas de grippe, comme la grippe de Hong Kong responsable d’un million de morts dans le monde dont 31.000 en France en 1968. L’Asie est donc une terre d’émergence des pandémies. Ces épidémies graves se sont avérées particulièrement mortelles. Il est
en ce sens envisageable que les habitants de l’Asie de l’Est, au contact de ces pandémies, aient développé une résistance naturelle à ces nouvelles maladies, notamment par certaines modifications dans leur génome. Tatsuhiko Kodama, cité précédemment, avance que des infections par des virus ressemblant au nouveau coronavirus se sont probablement produites à plusieurs reprises en Asie de l’Est. « Cela implique qu’ils ont déjà croisé quelque chose comme le Sras-Cov-2 », affirme-t-il.
L’ Asie, continent les plus peuplé au monde, fait état d’un bilan relativement stable s’agissant de la pandémie de la Covid-19. Une solide réactivité, couplée à une probable immunité naturelle, issue d’une exposition préalable à des formes analogues de Covid, permettrait d’expliquer cette résilience asiatique.
Alexis CUDEY