Feuilles mortes – Chapitre 7 : Songe en putréfaction

Le Cheveu sur la Langue est fier de publier un jeune auteur sciencespiste : Anouar Mhinat. Deux fois par semaine, retrouvez un nouveau chapitre de son roman « Feuilles Mortes » sur notre site.

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 -On en avait parlé durant un cours de sciences, il y a longtemps, fit Léa avec un sourire désabusé.

 J’acquiesçai doucement.

 -Assez souvent utilisé dans les tentatives de suicide, continua Léa avec un ton traînant. Mais rarement efficace.

 Intérieurement, j’eus un petit rire ironique. Effectivement, j’en étais la preuve vivante.

 -Cependant, ça laisse de graves et douloureuses œsophagites… Complétais-je alors.

 Léa se releva. Elle fit quelques pas dans le salon. La scène, au premier abord, me parut incroyablement familière. Puis là, Léa explosa en larmes.

 Je ne sus vraiment pas quoi faire, je ne m’y attendais pas. D’un coup, elle se pencha légèrement en avant, et commença à pleurer abondamment. Son visage devint rapidement rouge, et des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Elle se redressa, et bascula la tête en arrière. Au début, j’étais tout simplement figé sur le fauteuil, incapable de bouger. Je ne m’y attendais tout simplement. La voila qui, au milieu de cette morne après-midi sans sens et sans raison, explosait en larmes. Et d’un coup, le vide que j’avais ressenti auparavant se dissipa. Chassé par les effusions de Léa, sa chaleur, sa vie. Ses larmes étaient l’expression même de son désir de vivre, de son désir de voir vivre. Sa douleur avait irradié la pièce, l’avait remplie. J’étais figé. Puis je l’entendis. J’entendis ses sanglots, sa voix déraillé. Et ma posture de glace fut brisée. Presque immédiatement, je me dressai. Je fonçai, et l’attrapai par les épaules, puis je la fis s’asseoir. S’écoula alors un long moment, instant uniquement composé de ses tremblements et de ses sanglots. J’étais sidéré, et je ne savais même pas ce qui déclenchait en elle de telles larmes, même si en réalité la réponse était évidente. Puis, doucement, les larmes se calmèrent. Elles s’estompèrent. Elle essaya alors de parler, mais sa voix déraillait. Elle s’y reprit alors à plusieurs fois, avant que je puisse entendre clairement ce qu’elle disait :

 -Pourquoi ? Je ne comprends pas…

 Je me sentis soudainement mal à l’aise. J’étais la raison de sa souffrance ? Que je sois ma propre souffrance, après tout, cela n’impliquait que moi. Mais je ne voulais pas faire souffrir les autres, surtout pas. Surtout pas mes proches, le peu de proches qui me reste. Je m’écartai un peu, les yeux fixés sur la moquette. Mais je sentais malgré tout que Léa me regardait, les yeux encore quelque peu larmoyants.

 -Je n’arrive juste pas à saisir… Souffla-t-elle.

 Elle s’entoura les épaules de ses bras, apparemment profondément pensive. Le visage encore rouge, elle reniflait de temps à autre, et parfois, venait essuyer de son doigt une des délicates larmes qui coulait encore de ci de là sur sa joue.

 -Qu’est-ce qui t’as poussé à prendre cette bouteille de javel, à en boire tout son contenu, et à…

 Je tendis l’oreille.

 -A abandonner… A te laisser emmurer, te laisser disparaitre ?

 Je me levais alors, et me mit à faire les cents pas. Léa me lança alors un regard houleux et presque agressif.

 -Tu n’avais vraiment aucune autre solution ?

 Je crissai.

 -Ce n’est pas à propos des solutions. C’est à propos de la souffrance.

 Léa renifla bruyamment. Délicatement, elle dodelinait de la tête, le regard chargé. Puis, sans un mot de plus, elle quitta la salle.

-Raconte-moi un souvenir.

 -Pardon ? Lui fis-je.

 A ce moment précis, je n’avais pas une conscience claire d’où j’étais. Au milieu d’un parc. Mais tout était flou. Humide, aussi, presque agressif. Les feuilles mortes au sol… Il y en avait partout. J’étais debout, je piétinais ces feuilles mortes… A perte de vue, tout ce que je voyais, c’était des feuilles mortes. Un décor figé et sans âmes. Mort. C’était étouffant. Ces feuilles mortes, d’un jaune fatigué, d’un rouge usé, au sol, visqueuses, molles, décédées… Et leur odeur. Une odeur terrible, qui me donnait la nausée. Une odeur qui me clouait au sol, répugnante, nauséabonde. Un souffle qui semblait émerger des entrailles de la terre, et qui en exhalait ses pires atrocités. Ce souffle me faisait vaciller, je chancelais. Foutues feuilles mortes ! Je les haïssais. Elles m’étouffaient. Leur vision m’emplissait de haine, leur odeur m’emplissait de dégout. Je les piétinais, encore et toujours, avec rage. Je n’en pouvais plus. Je suffoquais presque. Où étais-je ? Surement endormi, délirant, perdu dans mes propres cauchemars. Puis, au paroxysme de ma suffocation, je me suis rappelé de la voix. Celle qui me demandait de lui raconter un souvenir. Plus qu’une voix, c’était une forme, devant moi. Une vague forme. Je distinguais, parfois, des contours familiers. C’était quelqu’un que je connaissais ? J’avais du mal à en être certain. Je ne voyais pas clairement.

 -Juste un seul, reprit la forme. Pas forcément le plus douloureux !

 Au début, j’eus du mal à saisir ce qu’elle me voulait. Elle insistait, cependant. La forme se mettait à vibrer. Je me suis senti menacé.

 -Raconte-moi un souvenir de l’année dernière, le plus vivace, le plus rempli de sens, allez !

 Je trouvais son enthousiasme presque morbide. J’eus un silence, une longue et paisible réflexion.

 -Quelque chose ! Continua-t-elle. Je veux saisir l’état d’esprit dans lequel tu étais.

Si elle voulait, pourquoi pas. Toutefois, je ne tenais pas à raconter n’importe quel souvenir. Pas un souvenir trop douloureux. Ni un souvenir trop banal. Alors, je me suis rappelé de cette nuit. De l’une de ces nuits, plutôt, tellement elles ont été nombreuses.

 -Il y a bien un souvenir…

 J’avais maintenant toute son attention. Elle ne vibrait plus. Les feuilles mortes… Leur atroce senteur ne se faisait plus sentir. L’air était davantage libre.

 -C’était un soir… Un soir qui pourtant s’annonçait agréable.

 J’eus un petit sourire désabusé, qui naquit sur mes lèvres inopinément.

 -Le printemps était bien avancé, et pourtant il pleuvait comme jamais.

 Je me passai la main dans les cheveux, cherchant à tout prix à stimuler ma mémoire.

 -On était allés chez un ami. L’ambiance était légère, assez agréable. Tout se passait bien. Enfin, jusqu’à un certain point.

 Je crissai, en me remémorant ce souvenir. Est-ce que je faisais bien de faire cela ? Mes souvenirs ne devraient-ils pas plutôt rester dans leurs coins ? Ils n’apportent rien de bon. En tout cas, à moi, ils n’apportaient rien de bon.

 -On avait fini par se balader dehors, reprit-je avec une voix qui se voulait la plus impassible possible. Il faisait terriblement froid, les rues étaient humides, et la nuit plus noire que jamais. Mais jusque là, tout allait bien.

 Je me tins le menton, pensif. Ce souvenir n’était pas spécifiquement douloureux… Il était juste si désagréable. Mais je devais aller au bout.

 -On se baladait juste dans la nuit, beaucoup trop alcoolisés, fis-je avec une pointe de sarcasme dans la voix. On hurlait à tue-tête, on trébuchait, nos discussions ne faisaient aucun sens. Nos discussions, d’ailleurs, dérivaient sans cesse, vers tous les sujets. On refaisait le monde. Puis une discussion particulière fut amenée sur le tapis.

 J’eus un cran d’arrêt. Je me sentais vraiment mal. Je racontais une histoire, l’histoire de ce moi et de ses réactions du passé, mais déjà, je sentais ressurgir en moi les restes de ces réactions, de ces émotions. Je les sentais délicatement gronder au fond de moi. Voulais-je vraiment les réveiller ?

 -Mes amis…

 Le terme me parut si étranger que je dus m’arrêter et reformuler ma phrase. Avec une légère confusion, je repris donc :

 -Les gens avec qui j’étais, ils commencèrent alors de discuter d’un certain sujet, d’un sujet sur lequel j’étais très sensible.

 -De quoi discutaient-ils ?

 Je bougeais alors la tête de manière évasive.

 -Rien d’important.

 J’eus même un petit rire.

 -Quand j’y repense, maintenant, c’était même clairement ridicule et superficiel. Ca n’avait aucune importance.

 Je me mordis alors la lèvre.

 -Mais… A l’époque, j’y avais donné de l’importance. J’avais agi. Et mes actes ont provoqué la suite des évènements.

 J’agitai la main en l’air, comme pour passer à autre chose.

 -Enfin bref ! Ils s’étaient moqués d’une légère histoire dans laquelle je m’étais, disons, embarqué.

 Le grondement au fond de moi se faisait de plus en plus large. Je commençais à en sentir les résonnances jusqu’au fond de mon être. J’en tremblais presque. Oui, je le sentais profondément. Le froid agressif, les larges flaques d’eau au sol, la nuit noire, étouffante et compacte, à peine allégée par les rares lampadaires ici et là. Cette impression d’infini, d’éternité. Je m’en rappelais. Cela revenait progressivement à mes sens, de manière diffuse. Surement qu’avec le recul, j’amplifiais ce que j’avais ressenti à l’époque, mais je pouvais clairement me rappeler de cette impression vivace d’infini que j’avais ressenti. Nous marchions, sans direction précise, mais nous marchions. Nous devions être, quoi, une dizaine. Eparpillés dans tous les coins de la rue, formant des microgroupes qui se reformaient à volonté. Nos cigarettes au coin de la bouche, blafarde lumière qui nous éclairait à peine – mais cela nous suffisait. Il ne nous en fallait pas plus, la fumée occultait. Nous avions l’impression de nous envoler vers l’infini, alors même que nous tournions en rond. Mais l’impression était là : Un vide, un potentiel infini, une nuit qui ne se finira jamais. Puis l’un d’eux en parla. Sur le ton de l’humour d’abord. Puis ils reprirent tous le thème de la discussion, et se moquèrent.

 -En réalité, repris-je, ce n’est pas le fait qu’ils s’en moquent… C’est plutôt que leurs moqueries m’ont fait douter.

 Peu après, nous nous étions séparés, pour rentrer chez nous. J’avais pris mon bus pour rentrer chez moi, seul. Et là, le doute m’avait assailli. Assis sur une banquette froide et inconfortable, sous la pâle lumière du bus, subissant les nombreux cahots.

 J’avais, à ce moment, beaucoup pensé. J’avais remis en cause certaines choses, remis en valeur d’autres…

 -A l’époque, j’étais persuadé… Persuadé d’une certaine chose. Une chose qui m’avait longtemps manqué. Une chose sur laquelle j’avais fini par baser beaucoup de mes certitudes et mes espérances. Alors, quand la véracité de cette chose a été remise en cause…

 J’acquiesçai délicatement, petit à petit convaincu.

 -Oui. C’était la source de tout ce qui s’est passé ensuite. J’ai douté. Et mon doute m’a amené à faire les mauvais choix.

 Si la forme ne semblait pas comprendre du tout de quoi je parlais, elle semblait en revanche saisir sur quoi avaient débouchés mes mauvais choix.

 -Ce fut un moment assez caractéristique, maintenant que j’y pense, repris-je.

 J’eus un petit sourire, en me remémorant ce souvenir, pour une raison qui m’était totalement inconnue.

 -J’étais maladroitement assis, le regard perdu dans le vide. Je me posais des questions. Soudainement, la nuit qui m’avait paru si ouverte et éternelle, pleine de possibilités, m’apparaissait maintenant différemment. Elle était devenue oppressante. Des limbes, de réelles limbes ténébreuses, étouffantes, qui m’avaient englouties et dont je ne pouvais m’extirper que difficilement.

 J’eus alors un petit rire.

 -Je me souviens aussi que je n’arrêtai pas de frissonner. Il faisait très froid cette nuit-là, vraiment très froide.

 Soudain, autour de moi aussi, il se mit à faire froid. Le vent fouettait. La senteur atroce des feuilles mortes ressurgit. Mais quelle était cette odeur affreuse ? Le vent se faisait de plus en plus violent, tout autour de moi s’assombrissait. La forme s’évanouit, disparut, je n’avais plus aucun point d’accroche. Les feuilles mortes, sous l’effet du vent, commencèrent à se soulever et à tournoyer autour du moi. Puis, cela me parut évident, et terrible : L’odeur des feuilles mortes, c’était une odeur de cadavre en décomposition. Une odeur qui me saisit au plus profond de mon être, car cette odeur, avant tout, semblait venir de moi-même.  

 Puis, petit à petit, l’atroce fragrance s’évanouit. Tout comme les feuilles mortes. Doucement, j’émergeais hors de mon sommeil. Les rayons du soleil perçaient petit à petit, mes paupières meurtris peinaient à se rouvrir. Puis, d’une seconde à l’autre, je changeais de monde. Mon contact n’était plus le contact de centaines de feuilles humides et visqueuses, mais le contact d’un drap léger et agréable. J’émergeais. Puis ce fut complet. Je me redressai sur mon lit. La dure matinée. Par réflexe, je jetais un coup d’œil à mon téléphone posé sur la table de chevet. Six heures du matin. Il allait falloir que je me lève, que je me prépare, et qu’ensuite je parte au lycée. A quoi bon ? J’en venais presque à regretter mon univers onirique emplie de feuilles mortes. Au moins, là-bas, tout était figé. Ici, on me traînait par le coup, on me forçait à vivre. Je n’en avais juste plus l’envie.

 Je repensais alors à mon étrange rêve. Que représentait cette forme ? Et le souvenir que je lui avais raconté… Sur le coup, ça m’avait l’air tellement authentique, mais en réalité, jamais une telle chose ne m’était arrivée. Avais-je tout inventé ? J’étais perplexe. Quoi que, cette étrange fable, par certains abords, me rappelait quelque chose. J’étais perdu. Avais-je déjà égaré les frontières entre la réalité et le délire ?

 On toqua alors à ma porte, et immédiatement ensuite, ma tante pénétra dans la chambre.

 -Jérémy ! Ah, je vois que tu es déjà réveillé ! Fit-elle avec une gêne à peine dissimulée. N’oublie que tu as ton premier jour de cours aujourd’hui, prépare-toi !

 Et ensuite, elle me fit, avec un sourire faux et forcé :

 -Ca va être une journée excitante, j’espère que tu as hâte !

 Et comme si elle avait honte d’elle-même, elle s’en alla immédiatement. La journée avait à peine commencé que j’avais déjà envie d’en finir avec mes jours. Littéralement, bien sur.

Auteur : lecheveusurlalangue

Journal de SciencesPo Grenoble (Isère, 38) et de ses étudiant.e.s

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