Feuilles Mortes – Chapitre 5 : Lueurs enterrées

Le Cheveu sur la Langue est fier de publier un jeune auteur sciencespiste : Anouar Mhinat. Deux fois par semaine, retrouvez un nouveau chapitre de son roman « Feuilles Mortes » sur notre site.

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Non, bien sur que non. Je devais me calmer. J’étais juste un peu paranoïaque. Tout ne pouvait pas être si affreux, pas instantanément tout du moins.

 Léa se leva alors.

 – Je vais aller commander, de quoi as-tu envie Jérémy ?

 Distrait, je répondis que j’avais envie d’un café, même si ce n’était pas tout à fait vrai. J’aurais préféré un chocolat. Une fois que Léa fut partie, Chris se pencha vers moi. La curiosité luisait dans son regard.

 -C’est donc toi, le fameux cousin !

 Je fus un peu interloqué par une telle emphase dans son ton. Adrien sembla le percevoir, et me précisa donc :

 -Pardonne son étonnement, mais il est vrai que Léa nous a souvent parlé de toi.

 Je fus un peu surpris par la nouvelle – et potentiellement enchanté.

 -Ah bon ?

 -Oh que oui, répondit Simon, l’air agacé.

 J’acquiesçai, pensif. Puis je me risquais à une question.

 -Vous la connaissez bien, Léa ?

 Chris éclata de rire, et Simon parut encore plus agacé.

 -Certains plus que d’autre, fit Chris, espiègle.

 Adrien leva alors les yeux au ciel. Candice éclata de rire, puis se pencha vers moi, un sourire moqueur sur le visage.

 -Il s’avère que Chris connaît Léa depuis la maternelle, et il ne se gêne pas pour nous le rappeler.

 Chris haussa les épaules de manière abusive, comme pour signifier que ce n’était pas si ostensible que ca en avait l’air. Il n’attirait aucune sympathie chez moi. Avec un soupçon de dédain dans la voix, je fis alors :

 -Je ne vois pas pourquoi. Ce n’est pas comme si cela véhiculait un prestige quelconque.

 Le visage de Chris se ferma, et Candice eut un petit rire.

 -Tu sais, fit-elle, certaines personnes font tout pour se sentir supérieur aux autres…

 Chris, agacé, commença à agiter la main en l’air.

 -Oh, ca va, on ne va pas en faire le sujet de discussion non plus !

 Son sourire revint tout de suite, et il recommençait déjà à rire d’autre chose. J’admirais cela chez lui, cependant. Il passait à autre chose, sans se soucier davantage. Oui, il était insouciant. Je l’enviais, presque. Il pouvait se relever. Ce n’était définitivement pas quelque chose que je savais faire. Les ténèbres m’entraînaient toujours. Mais d’un autre côté, les chaines qui me retenaient dans l’ombre étaient épaisses et lourdes. Lui, il semblait plutôt libre, rien n’avait l’air de l’entraver.

 Soudain, je la sentis. L’ombre. Croissante, rampante. Elle me grimpa sur les épaules, et commença à me susurrer à l’oreille. Ces gens, les amis de Léa… Ils avaient l’air d’être amis, très bons amis… Mon cœur se crispa, au fur et à mesure que de vieilles réminiscences ressurgissaient, doucement. Encore une chose de laquelle je fus privé. Encore une expérience dans ma vie qui rata lamentablement. Lentement, délicatement, je sentais que l’emprise de l’ombre s’agrandissait. Je n’arrivais pas à refouler ces mémoires. Je n’y arrivais plus. J’étais trop fatigué pour cela.

 Alors, pendant que mon esprit s’assombrissait de nouveau à une vitesse folle, Chris me dit avec curiosité :

 -Qu’est-ce que tu fais là, en vérité ?

 Brusqué par la question, brusqué par les ombres, je réagis brusquement ; Et lui lançai un regard noir.

 -Comment ça ? Dis-je durement.

 Chris se recula légèrement, lui aussi brusqué par mon ton. Après une très rapide phase d’hébétement, il me fit :

 -Je me demandais juste… Ce que tu faisais ici. Je ne voulais pas t’offenser.

 Je me calmai alors. J’avais peut-être été un peu trop sec. Chris semblait légèrement mal à l’aise, lui. D’un côté, aussi, sa question m’avait paru quelque peu dérangeante… Comme si j’étais de trop. Etais-je de trop partout ?

 -Enfin, tu n’as pas cours quelque part ? Reprit Chris. La rentrée, c’est demain, et tu n’habites pas ici, donc…

 Je compris enfin sa question. Je fus quelque peu mal à l’aise, cependant. Quelle réponse je pouvais lui donner sans… Expliciter ma situation ? Je me passais la main sur la nuque, pensif quant à la manière de faire. Après un petit silence, je fis alors :

 -Il s’avère que je vais vivre avec la famille de Léa cette année, et suivre des cours dans un lycée du coin.

 Candice s’éveilla, je vis l’attention éclore dans ses yeux.

 -Oh, pourquoi ?

 J’haussais les épaules, et je grimaçais. La grimace était forcé, mais je voulais paraître gêné, ou quelque émotion dans le genre.

 -J’ai eu quelques désaccords avec mes parents. De graves désaccords. Alors ils m’ont envoyé vivre chez mon oncle… Le temps que ça se calme.

 Ils acquiescèrent, compréhensifs pour la plupart. Candice gloussa, et leva les yeux au ciel, l’air pensif.

 -Belle manière de fuir le problème.

 Je fus brusqué l’espace d’un instant, non pas parce que ce qu’elle me disait me vexait, mais plutôt parce que je trouvais qu’elle avait parfaitement raison. Mes parents fuyaient le problème… Mais moi aussi.

 Léa revint alors, et se rassit. Simon lui bondit quasiment dessus, l’air hargneux, et lui dit d’une voix âcre :

 -Où est-ce que tu étais ? Qu’est-ce qui t’as pris autant de temps ?

 Léa parut outrée par tant d’agressivité ; Toutefois, elle répondit sur un ton calme et posé, sans monter la voix.

 -J’ai croisé une connaissance, j’ai discuté rapidement.

 Simon se calma, hochant doucement la tête. Chris s’éveilla, intéressé.

 -Oh ! Tu as croisé qui ?

 Léa se tortilla alors, mal à l’aise. Elle n’avait visiblement pas envie de le dire. Chris s’apprêtait à reposer la question, mais d’un geste de la main, Adrien lui intima de ne pas le faire, et il s’arrêta donc en chemin. Une vague palpable de malaise se fit alors ressentir. Chris s’agitait, clairement sous l’effet de la curiosité : Cela se voyait qu’il mourrait d’envie de poser cette question, mais que seul Adrien l’en empêchait. Simon, au début, n’avait aucune réaction. Puis lorsqu’il vit le climat dans lequel baignait soudainement, il se mit à s’agiter frénétiquement.

 -Tu as croisé qui ? Reprit Simon.

 Chris tendit l’oreille, appâté. Honnêtement, je regardais cela d’un œil plus que désintéressé. Finalement, qu’est-ce qu’on s’en foutait qu’elle ait croisé quelqu’un, ou qu’elle se soit retardée ?

 -J’ai croisé Bastien… Laissa finalement échapper ma cousine.

 Son propos eut l’effet d’une bombe, une bombe aux multiples effets. Adrien sourcilla à peine. Candice eut l’air triste, l’espace d’un instant je pus voir une certaine souffrance passer dans ses yeux. Simon… Sa réaction fut étrange, je dus l’avouer. Un mélange confus entre un sourire jouissif et un crissement de colère. Le résultat était que ses lèvres, retroussées d’une manière étrange, dévoilant ses dents et lui donnait un air de prédateur. Chris eut l’air très amusé.

 -Oh ça c’est bon… Souffla-t-il, complètement réjoui.

 Adrien tiqua, et machinalement, mit une tape sur la tête de Chris. Honnêtement, cet enchaînement de réactions eut raison de ma curiosité.

 -C’est qui, Bastien ? Fis-je.

 Chris ouvrit la bouche, l’air déjà enjoué, mais avec une rapidité et des réflexes sidérants, Adrien lui asséna une autre tape sur la tête. Contrit et déçu, Chris ferma la bouche et ne dit rien, même s’il en mourait d’envie, visiblement. Simon me regarda alors et me fit, avec un sourire assez pédant :

 -Une enflure, pas quelqu’un de très important en tout cas.

 J’acquiesçai donc, mais je crus sentir à mes côtés Léa se crisper. Candice se passa la main dans les cheveux, tandis qu’elle disait à Léa, d’un ton distrait :

 -Avec qui il était ?

 Léa, l’air encore plus distrait, confus même, répondit :

 -Je… Je ne sais pas. Je n’ai pas trop fait attention, je dois t’avouer.

 S’en suivit alors un léger, très léger et subtil mais néanmoins remarquable et important petit silence. Il dura à peine quelques secondes, mais je pus sentir qu’il était presque volontaire. Ce n’était pas un silence fortuit, résultant du hasard des prises de paroles, mais plutôt un silence nécessaire pour passer les gênes actuelles et redémarrer sur quelque chose de plus sain. Et effectivement, après ce silence, ils recommencèrent à discuter, comme si de rien n’était. De temps en temps, on me disait quelque chose, on cherchait à m’inclure dans la discussion, mais je dois avouer que je ne faisais pas d’effort particulier. Généralement, je répondais par une ou deux phrases lapidaires et sans concession, délivrés d’un ton froid. Rapidement, Chris et Candice, qui étaient les seuls à tenter de m’inclure dans la discussion, cessèrent. Léa, elle, ne s’arrêtait pas. Elle me regardait souvent, me renvoyait souvent la parole, que je ne saisissais quasiment jamais. Ce n’était pas contre elle, mais je n’en avais juste pas envie. A quoi bon, finalement ? Ces gens étaient des inconnus, et ils le resteraient. Je suis seul en moi-même. Ils sont seuls en eux-mêmes. Personne ne les comprendra jamais individuellement, personne ne me comprendra jamais. Et peut-être que cela ne leur posait pas de problème, mais je me voyais difficilement créer des liens avec quelqu’un qui ne me comprenait pas. Je m’en sentais dans l’incapacité totale.

 Le serveur arriva avec nos boissons. Il déposa devant moi une tasse de café, avec un sucre sur le côté. Pendant qu’ils discutaient entre eux, je saisis le sucre, et m’amusai à l’immerger dans le café, avant de l’en faire ressortir. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais le spectacle de ce liquide noir et sombre en train de lentement mais surement conquérir la surface blanche et impeccable du sucre avait un certain impact sur moi. C’était… Fascinant, je ne saurais dire pourquoi cependant, surtout au vu de la banalité de l’événement. C’était si simple. Doucement, le liquide montait, envahissait le sucre, le faisait sien. Noir sur blanc. Ténèbres sur lumière. Je mis ensuite le sucre dans ma bouche, et aspirai le cage. Le sucre était intact, mais la surface précédemment imbibé était maintenant pale, et semblait sur le point de s’effondrer d’un instant à un autre. Intéressant. La lumière ne se remet jamais tout à fait d’avoir été touchée par les ténèbres. Je ressentais la même chose. Quelque chose en moi… Quelque chose avait dépéri. Quelque chose avait disparu. En moi, une lueur s’était éteinte, et ne se rallumera jamais.

Auteur : lecheveusurlalangue

Journal de SciencesPo Grenoble (Isère, 38) et de ses étudiant.e.s

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