Allez, viens… ils ne nous veulent pas de mal au Magasin.
Posons tout d’abord quelques fondamentaux.
Le Magasin est un des deux premiers Centres Nationaux d’Art Contemporain (CNAC) qui a vu le jour en France en 1981. Par son ouverture, il a redonné vie à un édifice octogénaire, devenu friche industrielle, dont le concepteur n’était autre que Gustave Eiffel. Le nom « Magasin » fait référence à une exposition de l’artiste avant-gardiste Tatline, mythique.
Il se divise aujourd’hui en deux parties distinctes.
D’un côté, un homme : Philippe Decrauzat dont les œuvres sont exposées sous la verrière de la « Rue ». La Rue est la partie traditionnellement dévouée aux expositions d’œuvres créées in situ, c’est-à-dire créées spécialement pour le lieu. Decrauzat ne déroge en cela pas à la tradition, et ses œuvres succèdent à celles de noms magiques tels que Buren ou Richard Long.
De l’autre, dans la partie « modulable » de l’édifice, une rétrospective d’une femme, Ericka Beckman, des années 1978 à 2013.
Maintenant vivons tout cela.

Un blanc éblouissant, et puis la nuit.
Un ordre aussi dérangeant qu’un fouillis angoissant. Le Magasin nous propose pour cette saison deux expositions contrastantes, qui pourtant se veulent complémentaires l’une de l’autre. Un homme qui est née alors que l’autre entamait ses études au CalArts. Un Suisse, une Américaine. Des œuvres créées pour le lieu alors que de l’autre côté, le lourd rideau une fois écarté, nous nous retrouvons face à une rétrospective, face à des œuvres ayant derrière elles une histoire, un parcour, des années.
Un mal de tête, et une céphalée.
Philippe Decrauzat nous propose des œuvres immaculées, monumentales. Sept grandes toiles, produites dans les ateliers du Magasin, se répondent dans l’espace qui leur est dédié, renvoyant ainsi la lumière qui traverse les verrières. Une expérience sensorielle en soi, qui joue sur les illusions d’optique, nous sommes dans le registre de « l’op art ». L’artiste s’amuse avec le regard, un regard dérangé car il n’a nulle part où se poser. Des blocs blancs jonchent un sol en ciment froid. Aucune couleur pour le réconforter. Des petits films, scientifiques, en noir et blanc, sont à peine perceptibles au milieu de la majesté de la froideur ambiante et de la lumière du plein jour, qui les efface. « Un parti pris ». Un paradoxe, aussi, de jouer sur un regard qui ne voit pas.
Hébétés par Philippe Decrauzat, nous nous réfugions dans l’antre d’Ericka Beckman. Peut-être avons-nous été aveuglés, en tout cas nous ne distinguons plus rien. Un délire peut être ? Des images émergent de la torpeur et sont éclairées de couleurs violentes, accompagnées de sons agressants. « Où suis-je ? » se demande le visiteur qui ne voulait qu’aller à la rencontre de l’art au plus près de chez lui. Il est dans l’œuvre Post-punk, No-wave, Poststructuraliste, psychologisante, performative (est-il besoin d’ajouter d’autres étiquettes ?)… d’Ericka Beckman. Des Pokémons jalonnent son œuvre, les jeux vidéo prennent une place dominante, l’univers de l’enfance aussi. On nous parle d’influence des thèses de Piaget et de sa psychologie du développement, de structuration de l’intelligence, de schèmes. Très bien.
Nous, nous voyons -naïfs peut-être- un tourbillon de couleurs, une certaine simplicité aussi. Et puis nous nous disons qu’elle doit être bien passionnée par ce qu’elle fait. Nous l’imaginons derrière sa caméra, avec ses bandes de super 8. Avec un carton-pâte qu’elle manie afin de réaliser elle-même jusqu’aux décors de ses films. Et nous restons, hypnotisés. Quand reviendrons-nous ?
Tu as envie de comprendre cet article ? Le compte à rebours est lancé, tu as jusqu’au 4 mai pour découvrir les expositions : ERICKA BECKMAN Works 1978 – 2013 / PHILIPPE DECRAUZAT Notes, Tones, Stone. Au Magasin, Site Bouchayer-Viallet, 8 esplanade Andry Farcy, 38000 Grenoble. C’est ouvert du mardi au dimanche de 14h à 19h. (Plus d’excuses.)
Isaure
* Référence au film d’Ericka Beckman Cinderella de 1986
Image extraite de Cinderella, 1986, écrit, produit, réalisé par Ericka Beckman.
Pour aller plus loin :
A propos des deux artistes et de l’exposition
http://www.erickabeckman.com
http://i-ac.eu/fr/artistes/114_philippe-decrauzat
http://www.capc-bordeaux.fr/philippe-decrauzat
http://www.zerodeux.fr/specialweb/ericka-beckman-works-1978-2012/
http://moussemagazine.it/articolo.mm?id=1002
http://www.bureaudesvideos.com/bdv/editions/beckman/
A propos du Magasin