Mon Dieu, mon pays, mon chez moi, ma Terre promise, j’arrive, que des livres, je crois que je rêve, je sais que je serais heureuse jusqu’à la fin de mes jours, entourée de livres, n’importe lesquels tant que ce sont des livres, des vieux et des neufs, et que ça sent bon. C’était ma première fois, et je suis submergée par l’armée des stands, convoités et encerclés comme des ruches en mouvement. Les abeilles butinent chaque nouveauté littéraire et l’exposition devient labyrinthique et presque mystérieuse, abyssale. Le salon du livre a deux facettes, une bonne et une mauvaise, comme le monde.
Samedi 22 mars 2014, je faisais partie des 198 000 visiteurs du salon du livre sur toute la durée de l’événement, soit 8 000 de plus que l’an dernier. C’était 1 200 exposants, 3 500 auteurs en dédicaces et 50 pays participants. On peut dire que c’est un succès et je témoigne du monde qu’il y avait, tant je me perdais dans les rayons, entre Gallimard et Flammarion, Albin Michel et Fleurus, Robert Laffont et Actes Sud, PUG et Le Seuil… Au début, on flâne, quand on ne connaît pas, le mieux c’est de déambuler et tourner la tête vers toutes les curiosités. J’étais servie, j’ai découvert la SNCF qui offrait des petits spectacles humoristiques, le stand des radios France inter, France culture, France musique, le stand de France télévision parsemé de tapis bariolés, les stands exotiques, de pays du monde entier _ Liban, Maroc, Algérie, Tunisie, Syrie, Mexique, Allemagne, Espagne, Italie (…), et puis l’Argentine.
Première curiosité, certes, mais j’avoue ne m’y être pas intéressée, pauvre de moi, amoureuse de littérature purement franco-française, ou du moins classique, l’exotisme, je n’y ai pas encore pensé. L’Argentine était à l’honneur cette année, au 34ème Salon du livre. Sous un vaste stand éclatant de blancheur, les gigantesques photos d’écrivains argentins sont exposées. De ce que j’ai entendu, appris du moins après, c’est qu’on y célébrait entre autres le centenaire de la naissance de l’Argentin Julio Cortázar (1914-1984), auteur du roman Marelle (Gallimard, 1966). Mais tout n’est pas tout rose, une polémique est née, car la plupart des écrivains argentins invités sont favorables au gouvernement argentin actuel, et les opposants n’ont pas eu voix au chapitre. « J’étais sur une première liste et un fonctionnaire a donné l’ordre de m’enlever », a affirmé Martin Caparrós, dont deux romans ont été traduits en français (Valfierno, Fayard, 2008, et Living, Buchet-Chastel, 2013). Heureusement, tout n’est pas tout noir, la liste des invités contenait aussi des noms dont la notoriété ne dépend pas des aléas partisans : les dessinateurs Quino et José Muñoz, les écrivains Ricardo Piglia, Alberto Manguel, Mempo Giardinelli, Elsa Osorio, Lucia Puenzo, Leopoldo Brizuela, Pablo de Santis, Martin Kohan, Guillermo Martinez.
Autre curiosité : le chapeau d’Amélie Nothomb. Le salon du livre c’est aussi des écrivains qui viennent attendre les lecteurs, avec leurs bébés dans les bras à défendre corps et âmes. Mais, j’avoue être allée voir le chapeau d’Amélie Nothomb : plumes de couleur vert foncé, sur le devant d’un chapeau rouge bordeaux. Et surtout, cette flopée de badauds fans de littérature, ou plutôt de célébrités. Quand on voit une file d’attente énorme, c’est que l’écrivain est célèbre. Moi, qui ne connais pas les auteurs contemporains, à part Nothomb et Le Clézio, à chaque longue queue, j’en cherchais le bout pour savoir qui c’était. Ainsi, je voyais Jean-Louis Debré, Philippe Geluck, Sylvie Testud, Michel Drucker, Pierre Rosanvallon, Jean d’Ormesson… Et puis Amélie Nothomb, cette excentrique qui plaît tant.
Quand on y pense, on est toujours du côté des lecteurs, des flâneurs entre les livres. Mais on ne sait pas ce qu’il se passe de l’autre côté. Un jour, je le saurai peut-être, touchons du bois, mais qu’est-ce que le salon du livre pour les écrivains ? Imaginez, cela doit être un peu stressant de se faire avaler comme ça par la foule. Pour certains auteurs, c’est parfois même de mauvais souvenirs… Ils rencontrent toute sorte d’énergumènes, des gens bizarres. Tenez, il y a eu Julien Blanc-Gras, auteur de Paradis (avant liquidation), qui voit arriver une femme :
« Ça parle de quoi votre bouquin, là ?
– Bonjour madame, c’est un roman de voyage qui se déroule au Mexi…
– Vous feriez mieux d’écrire des livres utiles !
– Heu, mais, c’est à dire que…
– De toute façon, si vous êtes publié, c’est parce que votre père est écrivain.»
Singulier. Ou encore, François Bégaudeau, auteur de D’âne à zèbre :
« Il est intéressant ce livre.
– Oui.
– Vous êtes prétentieux.
– Il faut que je dise non c’est nul ?
– Vous pourriez ne pas répondre.
– Vous posez une question à laquelle le plus poli est de ne pas répondre ?
– Vous n’êtes pas bon vendeur. »
Mais surtout, je retiendrais la critique principale au salon du livre, devenu finalement salon de l’édition : Pierre Assouline, auteur de Sigmaringen lui reproche, lui que l’on dit être « la plus grande librairie de France » de faire payer l’entrée au grand public, pour avoir le droit d’en débourser plus, pour acheter les livres exposés.
Pour finir, salon du livre ou salon de l’édition, les gens viennent pour les stars, ou pour placer leurs manuscrits. L’écrivain est devenu « marchand ambulant », devant vanter seul son propre roman à une foule de badauds intransigeants. Isabelle Monnin, auteure de Daffodil Silver, le dit : « Naïvement, j’ai longtemps cru que les auteurs étaient des êtres souterrains occupés à creuser leurs petites galeries de littérature. C’était avant ce jour où j’ai appris l’autre définition du mot «auteur»: quelques week-ends par an, des marchands ambulants. » La preuve, sa voisine de stand fait à sa manière pour vendre son dernier bouquin : « Son argument de vente est efficace : s’ils veulent la photographier ils doivent acheter le bouquin. Elle se prête alors avec générosité au jeu, discutant comme une copine, présentant aux plus chanceux, son « namoureux » et son « bébédamour » dont le livre raconte la gestation. »
Malgré tout ça, je reste perchée dans mes sommets d’optimisme, voire de naïveté, éternelle épicurienne du livre : j’en garde un bon souvenir, c’était une expérience à avoir, j’ai été tout de suite apaisée par cette foule de livres en tout genre, que je les touche ou pas, j’ai aimé flâner entre les reliures et l’excitation du lieu. Alors au 35ème salon du livre, n’hésitez pas venir ! L’entrée est gratuite pour les étudiants, mais pas les livres !
Claire Mangiante